"Le roi est mort, vive le roi ! " C'est le dernier livre de Jean Raspail entre les mains que j'ai appris son rappel à Dieu. Disparition, décès, mort, ces termes sont impropres concernant un auteur dont l'oeuvre ne va cesser d'alimenter ni les pensées ni les conversations. Les unes pour le meilleur et les autres pour le pire.
Je m'étais promis de lui adresser le premier exemplaire imprimé de mon roman, dont au moins trois des personnages sont patagons, discrètement, comme un clin d’œil. Trop tard. J'ai adressé son exemplaire à qui de droit à la Chancellerie du Royaume.
J'ai été bercé par les chemins d'eau du roi, j'ai chevauché aux côtés des sept cavaliers au crépuscule, j'ai cheminé de nuit vers un sacre à Reims, j'ai rêvé de lignées de Pikkendorff, je me suis endormi au son des tambours sur la neige. Et toujours régnait Orélie-Antoine sur un royaume de glace et de rêves, une flamme au cœur.
L'oeuvre de Jean Raspail répond en écho à un besoin d'élévation. Elle distille de la hauteur d'âme. Elle enveloppe de panache l'existence, de quoi embellir la grisaille et parer l'ordinaire d'élégance.
Auteur d’altitude il a hissé vers les cimes quelques chasseurs d'éternité, bâtisseurs d'Histoire, aventuriers, marins, soldats, scouts ou simples rêveurs. Ses livres alignés au rayonnage comme les gardiens du fort, compagnons de voyages, serrés dans un havresac, ou veilleurs au guet d'un chevet, remplissent chacun leur mission élémentaire : entretenir la flamme.
Les lecteurs de Raspail savent que le volume le plus emblématique de sa bibliographie n'en est pas l'essence. Le camp des saints est significatif à bien des égards, mais il est insuffisant pour saisir le souffle qui habite l'ensemble et se répand avec d'infinies modulations dans chaque parcelle.
Il est en revanche symptomatique du temps - si bien compris par l'auteur - que ses détracteurs s'en tiennent à ce livre symbolique, celui-là qui en décrit la déréliction. Les clébards patentés ont dressé derechef leurs bastions branlants aux confins de Patagonie, de crainte que l'endormissement du vieux sage au regard si perçant, dans le fracas d'un chaos qu'il avait prédit, n'éveille à la conscience les esprits embués.
Un canot d'écorce, où fume un brandon, l'a emporté par des canaux incertains, vers une terre de feu et de glace, dans un silence cathédral. Sept cavaliers, un enfant roi et un pêcheur d'âmes l'attendaient, impassibles, aux rives du royaume au-delà des mers, peuplé des derniers fils des civilisations perdues.
Il était trop tôt pour nous.